CITATIONS A L'ESCADRON Citation du Capitaine
Noël de Guerre en Kabylie
JEUDI 24 DECEMBRE 1959 23 heures
La première auto-mitrailleuse roule en silence dans la nuit incertaine, enchainant les virages de la nationale 26 descendant la vallée de l'oued Summam entre Maillot et Bougie. La nuit est menaçante et froide proche du gel.
Seule pas vraiment, puisque la seconde suit à quelques dizaine de mètres ni trop prés ni trop loin. Ne pas être isolé, mais garder sa liberté de manœuvre en cas d'attaque, rester en liaison radio permanente avec l'autre, bien entendu.
Deux petits fortins à roulettes, perdus dans un vaste territoire d'insécurité totale, ne pouvant, dans la nuit, compter que sur eux-mêmes en cas de ...Tous les postes français sont à cette heure , jusqu'à l'aube, barricadés dans leurs cantonnements fortifiés. On ne peut plus compter sur personne... les avions ne peuvent pas voler la nuit, les hélicos non plus. Peut-être par radio, mais dans quels délais ?
Le but de la mission c'est de faire régner l'insécurité pour les fellaghas sur la route de la vallée. La route, oui seulement la route ; on ne s'attarde pas dans les chemins de traverse. Bien sur, les moujahidins lovés dans leurs caches pendant le jour, suivent notre progression depuis notre départ, au son des moteurs et aux lumières des phares depuis les flans de la montagne toute proche. La nuit leur appartient.
Il est vrai que, depuis l'été, ils ont pris des sacrés coups. Ils sont moins nombreux, beaucoup se sont ralliés. Le vent a tourné. Mais les derniers s'accrochent. Ici ce sont des kabyles sobres et teigneux, bons soldats et connaisseurs du terrain comme personne.
Alors on cherche par tous les moyens a tromper l'ennemi. Les ordres de marche parviennent au chef de patrouille peu avant le départ par pli cacheté. L'itinéraire change à chaque patrouille, avec un nouveau diagramme de marche en zigzag. Pour être difficiles à repérer, on triche au maximum avec les phares : la deuxième voiture en feux black-out le plus souvent, la première alternant phare de route, projecteur de tourelle et black-out.
Sur certaines portions de route, on déboule phares éteints en seuls black-out, espérant surprendre dans un brusque allumage du puissant projecteur de tourelle, les barbouilleurs de drapeaux algériens, pas encore peints sur le goudron au précédent passage. Attention, à l'aveugle ça n'est pas facile, nos pilotes sont des as et ils ont l'instinct du chasseur...Mais on a eu des accidents.
Nous progressons sur le goudron parfois bordé de pins dont les branches font scintiller les éclats de lune. Il fait froid, très froid dans notre boite blindée ouverte à tous les courants d'air. Nous avons enfilé tout ce qui peut nous aider a tenir pour ces quelques six heures de patrouille de nuit, y compris des épaisseurs de journaux. Vraiment l'hiver c'est très dur, mais pas de problème,...c'est pour la France !
Dans chaque véhicule un équipage de quatre hommes expérimentés pour cette mission, bien armés mais qui ne représentent pas grand chose militairement. Il faut la jouer en souplesse, être rapides, mobiles et attentifs au moindre signe.
Huit hommes dans la nuit, solidaires et décidés, pour gêner nos ennemis et éviter qu'ils se sentent chez eux. A dire vrai, il y a, en plus, la draisine blindée (le peloton V.F. de notre escadron) qui poursuit sa patrouille sur la voie ferrée de la vallée un peu comme nous, mais, elle, rivée à la voie qui, parallèlement à la route, s'en rapproche parfois pour s'en éloigner plus loin. Les deux patrouilles sont indépendantes. Par moment fugitivement on perçoit au loin une lueur de leurs phares, mais eux aussi rusent avec l'éclairage...A l'occasion un bref contact radio avec nos camarades mais sobrement.
Le moment n'est pas au bavardage. Chacun est dans ses pensées mais il faut avant tout rester concentré avec l'esprit du chasseur.
Le plus dur c'est le froid, le courant d'air glacé de la vitesse circule librement à l'intérieur, depuis l'ouverture du pilote jusqu'à à la tourelle ouverte. Le froid mais aussi le sommeil qui risque de gagner l'un ou l'autre, spécialement le pilote. Le plus souvent, la journée qui précède n'a pas été de tout repos et les hommes sont fatigués, pleins d'allant mais fatigués.
Alors parfois le Chef de Voiture, après un écart plus ou moins prononcé, se permet un léger rappel du pied dans le dos du pilote, et...la trajectoire se redresse.
Pas de problème particulier ce soir, les virages s'enchainent ; on a passé le hameau de Takrietz ''la rouge'', particulièrement à risque, ou nous avons perdu un camarade, dans une embuscade, au printemps dernier. Après Takrietz, sur plusieurs kilomètres, pas un seul arbre sur 400 mètres de part et d'autre de la route : après plusieurs affaires sérieuses, l'autorité du Secteur a fait abattre les oliviers sur les abords de cette route. Ces espaces déserts font un effet sinistre, surtout la nuit, mais une embuscade devient difficile a y monter...
Rien de particulier ce soir, nous roulons vers le village d'El Kseur, sinon que ... c'est la nuit de Noël !
Nos hommes font leur boulot sans rechigner, impeccablement, personne ne s'est plaint.
Jamais personne ne se plaint. Ils sont fiers de ce qu'ils font, ils savent que quelque part ils sont les acteurs d'une histoire, de l'Histoire. J'aime leur façon légère mais responsable d'assumer la mission.
Mais ce soir... c'est Noël. Dans cette solitude bleu foncé, glacée, dangereuse ce simple mot allume des petites lumières dans les pensées intimes de chacun quel qu'il soit. Les souvenirs, les images anciennes vagabondent et tournent dans les têtes, cachées, intraduisibles. A cet instant personne n'y échappe, je crois.
La patrouille poursuit sa route, s'éloignant un peu plus de son cantonnement de Gendouze près d'Akbou. Moins de virages sur ce tronçon bordé souvent d'eucalyptus avec leurs troncs dont se détachent des tubes d'écorce fine et leur odeur si particulière humée plus pure dans la nuit.
Nous allons bientôt arriver à la limite Nord de notre itinéraire et nous allons devoir faire demi-tour. Au delà c'est une autre unité qui assure la mission.
Minuit est passé, un bref message radio du chef de patrouille : « stationnement en position combat au P.K. n°... pour demi-tour ensuite » Les deux blindés sont garés rapidement dans le noir dans un débouché de chemin, par leurs pilotes très habiles guidés par les aide-pilotes, blindés proches l'un de l'autre, en position de départ dans le bon ordre, tourelle de la voiture de queue pointée vers l'arrière. Moteurs coupés, zéro lumière, seules les radios en tourelle restent allumées.
Très vite les hommes sautent à terre ; pas tous, il en reste réglementairement un dans chaque tourelle.
C'est le moment attendu de se souhaiter discrètement, sobrement un bon Noël et de fêter ça comme on peut, pauvrement sans étoile ni bougie ni prière mais de bon cœur avec une grande chaleur. Quelques bouteilles de mousseux de Saumur sont sorties des coffres et posées sur les capots arrière. On peut trinquer entre nous non sans une certaine émotion. Pas de chant pas de symbole chrétien mais le Christ a bien dit : « quand vous serez réunis plusieurs en mon nom je serai au milieu de vous » N'est-ce pas le cas ici et maintenant ?
On entend vaguement dans le lointain des chacals qui pleurent'' craintivement comme des enfants. Plus loin à El Kseur nous aurions pu voir des vautours charognards divagant au milieu des ordures. C'est encore un territoire sauvage.
Chacun gardera mémoire, je crois, comme moi, de ce court moment unique de communion humaine si dépouillé si dense dans cette nuit hostile. Inoubliable...
Et maintenant, sans trainer, chacun a son poste, moteur en route, vérification armement, reprise contact radio, et en avant direction Akbou !
Toujours, au retour, l'esprit chasseur prime, cherchant à surprendre l'ennemi en plein travail de peinture indépendantiste sur la chaussée. Jamais nous n'y sommes parvenus...
Petit contact radio avec la draisine sur voie ferrée : nous nous souhaitons ''bon Noël''. Notre capitaine a eu le geste d'accompagner pour cette nuit-là l'équipage de ce blindé un peu particulier. Rien ne l'y obligeait mais il l'a fait. Chef discret, courtois, efficace, il est respecté et aimé des hommes de l'escadron. Comme nous, ils ont fait une courte halte pour ''arroser'' la Nativité.
Il va s'écouler encore plusieurs heures de route avant de rentrer au bercail, notre diagramme de marche nous imposant plusieurs courts retours en arrière et même une incursion au Sud de notre cantonnement de Gendouze. Tout à coup est-ce que je rêve éveillé : une branche d'arbre traverse la route. C'est, en fait, un malheureux porc-épic tous poils (soies) hérissés que nous avons manqué percuter. Ce n'est pas le premier mais le plus souvent on en voit sur les pistes forestières. Une nuit mon tireur, très bon fusil, en avait tué un avec ma carabine US M1. Le cuistot de l'escadron, boucher de son état nous l'avait apprêté de belle façon : délicieux, comme du porc.
Les derniers kilomètres paraissent interminables jusque vers cinq heures du matin. C'est le moment ou l'on s'interroge : qu'est-ce que je fais-là ? est-ce utile ? a qui ? pour qui ? C'est différent en opération ou l'on a guère le temps de se poser des questions, et le plus souvent de jour, en dynamique dans le ''bruit et la fureur''.
La réponse vient très vite, toute seule :
je sers mon pays ; ensemble nous contribuons à servir cette maison commune, notre pays et c'est la noblesse de ce pays de savoir suscité un tel engagement de masse. On nous a, plus tard, rebattu les oreilles de jeunesses sacrifiées, de soldats geignards récalcitrants ou traumatisés. Pour ma part (modeste), durant mes longs mois d'Algérie je n'ai rencontré que des jeunes français pleins d'allant, faisant tout simplement leur devoir, sans se poser de problèmes, sans solde, pour la gloire et ...la France.
Enfin nous rentrons chez nous, chaque véhicule garé à son emplacement, procédure d'arrêt des moteurs enclenchée, bâché avec soin, armes en sécurité et dans leurs étuis.
On est des Cavaliers, bigre, et le matériel est traité avec soin ; c'est le gage de pouvoir répondre à toute nouvelle nécessité.
Personne ne se fait prier pour rejoindre son lit, un peu avant l'aube. Pour mon compte j'ai, comme Sous-lieutenant chef de peloton, droit à une chambre dans cette modeste mechta-moulin à huile réquisitionnée. Comble du luxe, dans un angle est bâtie une petite cheminée qui, par chance fonctionne bien.
Ce matin-là, avec une grande délicatesse, un de mes hommes, en repos, vient de m'allumer un bon feu de bois qui, en cet instant, me procure un vrai bonheur pendant que je m'épluche de mes diverses couches avant de me jeter dans mon lit. Les planches de caisses d'obus (fournies par les artilleurs du Secteur) vont continuer à pétiller pendant que je rejoins au plus vite les bras de Morphée. Grand merci à l'allumeur, il n'avait aucune obligation.
Demain, ou plutôt dans quelques heures, jour de Noël, de nouvelles missions attendent peut-être mon peloton...
Jacques MAUREAU le 26 Avril 2016
P.S. Je dédis ce petit texte a tous les chasseurs (d'Afrique) de mon peloton du 4 /12 RCA avec lesquels j'ai vécu de nombreuses aventures, jusqu'à donner sa vie pour l'un, au courage et à la vaillance desquels je rends un vibrant hommage.
Jeune ouvrier compositeur- typographe, muni de mon CAP, à l’âge de 19 ans, c’est à GUINGAMP que j’effectue mes 3 jours. Après une première série de tests, nous sommes 4 sélectionnés sur 40 pour un second test (de littérature politique, autant que je me souvienne). En finale, je suis reçu en compagnie d’un professeur et j’apprends avec fierté mon admission pour suivre un peloton d’élèves officiers. Ce sera à MOURMELON-LE-GRAND, au 503e RCC. Le 4 janvier 1962.
56 élèves âgés de 19 à 31 ans. Je suis le plus jeune. N’étant pas sursitaire, j’ignore l’existence de la PMS et même de la PME. Face aux brillantes études de mes camarades, issus pour la plupart de très belles familles, mon certificat d’études primaires fera pâle figure. Ma sélection intriguera d’ailleurs plus d’un gradé. Au terme de cette formation EOR, une partie des élèves intégrera Saumur. Pour ma part, une affectation en Algérie me conduira au 12e RCA. En compagnie de Philippe MEYER, issu du même peloton EOR.
La traversée en bateau comme pour les suivantes sera programmée à fond de cale. Une cale que nous partagions avec les familles de harkis. Conditions difficiles dans le vomi ou les jeunes appelés constituaient une source de revenus non négligeables pour les marins qui exploitaient honteusement la situation. Ceux-ci « offraient » leurs couchettes pour la somme de 100 F. Au premier voyage je partageai cette couchette avec un camarade et nous y dormîmes à tour de rôle pour 50 F chacun.
Le DIM à Alger. Le tri des appelés et le convoyage en train. Direction M’SILA. Une allure d’escargot en 3e classe, le convoi ralentissant à chaque pont. Nous serons trois bleus affectés au 4e escadron, basé à IGHZER-AMOKRANE et commandé par le Capitaine CHABOUREAU. Moi, Philippe MEYER et Michel CREVEL un jeune nancéen que sa mandoline ne quittera jamais. Faible relève qui décontenança le comité d’accueil.
Affecté au 1er peloton comme tireur sur AM sous les ordres du Lieutenant TIMSIT, je me familiarise avec mes mitrailleuses de 50 et 30. Je découvre aussi mon canon et ses différentes sortes d’obus. Deux jours plus tard, le lieutenant TIMSIT m’annonce mon départ prochain à SETIF afin de suivre une formation de sous-officier. Philippe MEYER, de son côté est bien sur sollicité pour le même motif.
Je suis ravi car depuis MOURMELON, j’envisage une carrière militaire ; devenir officier, l’aventure ; c’est pour moi une promotion sociale. J’imagine aussi la fierté de mes parents de condition très modeste. Mais un gros grain de sable va mettre à mal mes projets. Le Lieutenant quitte précipitamment l’escadron ; pour assister, je crois, à l’inhumation d’un proche et ne reviendra pas. Le peloton se trouve alors provisoirement sous les ordres du chef MERICK. Ce dernier procède à un changement, je suppose avec l’aval du Capitaine, et envoie à ma place un nordiste, Emile DECLERCQ. Je ne serai donc pas Maréchal des logis. Désillusionné, vexé, je songerai désormais à mon avenir sous d’autres cieux.
De patrouilles en escortes, je découvrirai la Kabylie. C’est l’avantage de la cavalerie ! Recherche d’itinéraires de secours, rapatriement de familles de harkis jusqu’au port de BOUGIE. Protection des familles de gendarmes, de convois sensibles ; il m’arrivera aussi de garder de nuit, le monument aux morts d’AKBOU ou une ferme ou encore un cimetière. Les expériences seront diverses.
Quelques moments forts, avec l’indépendance qui nous clouera durant 3 jours dans le camp, retranchés à IGHZER-AMOKRANE, sans ravitaillement, alors que l’armée algérienne manifestait sa joie en tirant dans tous les sens. Le convoyage des familles de harkis dans les gorges de KERRATA, à grande vitesse. Les familles avaient été chargées à Constantine ; les enfants en bas âge étaient revêtus d’un sparadrap sur la bouche, les empêchant de pleurer. Les camions bâchés hermétiquement, il s’agissait officiellement d’un convoi de munitions. Avec les GMC cela allait, mais avec les SIMCA, nettement plus rapides, nos AM avaient du mal à suivre ; dans la tourelle, il fallait s’accrocher ! Les fellaghas disposaient des barrages ici ou là, avec des bidons dont l’espacement ne permettait pas à un camion de passer. Pour empêcher tout contrôle, il fallait forcer le barrage car il n’était pas question de s’arrêter. Arrivées au port de Bougie et toujours sous notre protection, ces familles, la peur au ventre, pouvaient enfin respirer, pris en main par les officiers de la Royale.
Un autre moment fort à IGHZER-AMOKRANE fut la tentative de désertion du Brigadier-chef harki CHEBABA ; après avoir fait l’extinction des feux dans nos chambrées, il entreprit de franchir en pleine nuit le mur d’enceinte du camp, en emportant je crois quelques armes. Le FLN l’attendait de l’autre côté du mur. Intercepté, sa tentative fut un échec. Vers 4 heures du matin, je fus réveillé pour escorter en jeep le déserteur vers ce qui devait être le 2e bureau à M’SILA, afin d’y être interrogé. Lors de ce voyage, en plein soleil de midi, j’attrapai sur le visage un mémorable coup de soleil, avec des brulures au second degré. Le 1er peloton comprenait plusieurs harkis regroupés au fond de l’étable qui faisait office de chambre. Etant le « bleu », le dernier arrivé, un lit superposé me fut attribué en limite des deux communautés. Aussi, je ne dormais souvent que d’un œil ; nous savions qu’un peu partout en Algérie plusieurs harkis essayaient de sauver leur peau en désertant. En vain ! Ceux-ci étaient exécutés sans pitié par le FLN. Nous avions aussi appris par la rumeur que dans certains cas, des appelés avaient été assassinés au moment de leur fuite. La vigilance était donc de mise.
Lorsque nous déménagerons pour BOUGIE à la ferme OUDALI, notre premier travail sera de niveler et aménager le terrain devant recevoir les bâtiments préfabriqués. Pendant toutes les semaines que va durer le chantier, nous dormirons sous de grandes tentes au confort spartiate ; chaleur éprouvante, moustiquaires, les pieds dans l’eau lors des orages, nous avions intérêt à vérifier l’intérieur de nos rangers ou de nos pataugas le matin avant de les enfiler. Les latrines creusées en lisière de camp représentaient une véritable expédition surtout en pleine nuit. Quant à l’environnement de ces lieux d’aisance, j’aimerais voir la tête des jeunes d’aujourd’hui, s’il leur fallait revivre cette situation !
Atteint d’une dysenterie amibienne, sonné, je fus dirigé sur l’infirmerie de garnison à BOUGIE. Je partageai ma chambre avec un harki âgé d’une cinquantaine d’années. Une sérieuse inquiétude me gagna quand je le vis chaque soir déplacer l’armoire de la chambre pour barricader la porte. Peur des représailles et d’être assassiné en pleine nuit.
Enfin, nos baraquements terminés nous accueillirent et la condition d’homme de troupe nous parut nettement plus confortable. Les missions se poursuivent et ma carrière militaire va connaitre un tournant décisif. Un jour, alors que je suis de garde d’honneur à l’entrée du camp, une alerte survient pour un convoi en difficulté. La situation est urgente et deux AM sont désignées pour la mission. La mienne en fait partie. Je suis récupéré à l’entrée du camp et je grimpe dans la tourelle sans avoir eu le temps de me changer. Au bout d’1 km, mon chef de char s’aperçoit que mes armes ne sont toujours pas déverrouillées. Obligé d’avouer que les clés des cadenas sont restées au camp, dans mon treillis ; il nous faut rebrousser chemin ! Cette mésaventure me vaudra les reproches appuyés de mes supérieurs.
Déclaré exempt de garde et surtout de port d’arme, je suis alors affecté à l’ECS où je vais occuper plusieurs fonctions successives. Préposé aux douches, sera mon premier emploi. Défileront devant moi, des milliers de personnes en tenue d’Adam, dans les installations sommaires de la ferme OUDALI. Tous les matins, je suis le premier levé pour allumer le feu alimentant la chaudière et réguler l’eau chaude. Je confesse que je ne garde pas un souvenir ému de cette responsabilité.
Mais un beau matin, l’Adjudant SICRE me convoqua dans son petit bureau faisant face au golf miniature. Il me signifia mon changement de statut prenant effet dès le lendemain. Coiffeur ! N’ayant aucune notion de ce métier ma nomination surprit tout le monde. Alors qu’un de mes camarades, VALADE, avait suivi une formation spécifique de coiffeur pendant ses quatre mois de classes ; un autre encore était coiffeur de métier. Le lieu où j’allais désormais opérer était le bureau de l’Adjudant. A la première heure, j’examinai mon matériel, une tondeuse à main ; elle ne me servira jamais…trop compliqué. Une tondeuse électrique, une paire de ciseaux et un couteau à la lame très aiguisée. L’Adjudant-chef SICRE souhaitant tester mes compétences sera mon premier client…et ma première victime. Alors que j’étais assez fier de cette coupe inaugurale, pourtant réalisée de manière peu académique, j’entrepris de parfaire l’ouvrage ! Une belle coupe cavalière en fignolant le tour de l’oreille avec mon long rasoir. J’oubliai tout simplement de lever mon couteau en contournant l’objet du délit. L’entaille conséquente provoqua une hémorragie qui mit l’Adjudant dans une fureur légitime. Mais après seulement quelques jours, je devins un spécialiste de « la coupe au rasoir » et de « la coupe tout ciseaux ». Et tout cela, sans aucune formation. Ma réputation dépassa le 4e escadron et très vite une jeep fut mise à ma disposition pour exercer mes talents sur les officiers des régiments voisins. La consécration en quelque sorte ! Et une légère concurrence pour les coiffeurs civils. Par ailleurs, l’Adjudant veillait à ce que la relève qui nous arrivait après quelques mois d’Allemagne, soit bien gratifiée de la coupe « cavalière », bien dégagée ! Une seconde incorporation en somme.
Parallèlement, je ferai du reportage photo avec un appareil Dacora, acheté au foyer ; je serai serveur occasionnel, lors de réceptions officielles au mess ; écrivain public, pour certains de mes camarades en difficulté..
Ma tondeuse ayant trop chauffé, rendra l’âme et il s’avèrera impossible de la remplacer sur Bougie. Les ciseaux prendront la relève. Le hasard voudra que le Chef vaguemestre quitte sans délai l’escadron. Le Lieutenant DUMESNY n’a semble-t-il personne de disponible avec le bon profil pour le remplacer et me sollicite pour occuper cette fonction, en principe dévolue à un sous-officier. N’étant que seconde classe et de plus, exempt de port d’arme, ce n’était pas évident. Le rôle de vaguemestre étant crucial, je donnerai mon accord avec enthousiasme, signerai le 15 Mai 1963 un document où sont consignées mes responsabilités, communiquerai mon adresse civile et accepterai de porter une arme ; un PA en l’occurrence et je serai accompagné d’une escorte.
Le dimanche était un jour attendu qui me permettait de quitter le camp, en posant une permission pour assister à l’office religieux de Bougie où j’avais noué quelques relations au sein de la chorale. Pratiquement le seul à bénéficier de cette possibilité de sortie, une jeep m’amenait au centre de Bougie et après la Messe, je restais déjeuner dans un restaurant de la ville, retrouvant souvent quelques camarades.
Lors d’une de ces sorties, je fus très étonné d’être le seul militaire visible en ville ainsi qu’au restaurant. J’ignorais que tous les militaires du secteur de Bougie avaient été consignés à cause d’une grande manifestation politique prévue en centre ville. L’ordre n’était semble-t-il pas parvenu au 4e escadron. Ou alors, les gradés avaient oublié qu’une jeep me conduisait tous les dimanches matins à Bougie. C’est en sortant du restaurant que je découvris avec stupeur une marée humaine remontant le boulevard avec banderoles et haut-parleurs. La lutte pour le pouvoir en Algérie entre trois willayas.
Une centaine de mètres nous séparaient ; en m’apercevant, certains éléments agités me firent la chasse. Je n’en menais pas large, heureusement que champion de cross, je courais vite. Isolé au milieu de la rue, au moment de prendre la fuite, je tombai sur deux légionnaires allemands. Nous devions être les seuls militaires présents en ville. Plus âgés, plus aguerris, plus surs d’eux, ils me prirent sous leur aile et nous courûmes jusqu’au port, où ils se saisirent sans ménagement d’une barcasse nous permettant d’échapper à nos poursuivants. De retour à la ferme OUDALI , je passai sous silence cette aventure, de crainte de ne plus pouvoir ressortir.
Viendra avec surprise ma libération anticipée, alors que j’étais parti pour 28 mois. En raison du départ rapide de plusieurs classes chaque mois, la mienne, la 62 1/A, sera la première à gagner 10 mois. Cela explique certainement les difficultés d’organisation des services de l’ECS, comme le départ rapide du vaguemestre. Le retour en bateau sera assez agité mais je dormirai toute la nuit sur le pont, au milieu de plusieurs harkis méditant sur leur triste sort.
Ce retour sur le KAIROUAN me fera prendre conscience qu’une page importante de ma vie est tournée. Je suis malgré tout, fier d’être resté 2e classe ; fier d’être chasseur. Et fier de mon certificat de bonne conduite, signé Lieutenant-colonel MARSAUCHE. Cette expérience nord-africaine avec ses acquis, restera un excellent souvenir. C’est la croisée des chemins. A 21 ans, tous les rêves sont permis, la carrière militaire que j’avais tant espérée s’étant évanouie, il me reste plusieurs options, la Normandie, le Canada, le Japon et Tahiti. Ce sera la Normandie, pour peu de temps, puis la Suisse où je rencontrerai aussitôt deux autres français de retour d’Algérie. Ils me proposeront de les accompagner en Afrique avec un contrat de mercenaire. Je ne les suivrai pas. Beaucoup plus tard, j’aurai des contacts avec Bob DENARD en RSA ; mais ceci est une autre histoire.
De cette période en Kabylie. Quelques noms me reviennent en mémoire, le chef Yves SCHMITT décédé depuis peu et que je rencontrais au sein de l’Union Nationale des Anciens Chasseurs d’Afrique. Bernard PERRIN, responsable du foyer. Il m’a rendu visite à Genève, peu après notre démobilisation. PASDELOUP, BLANCHOIN, « NARVALLO », Gérard CLABAUT, DESVAGES, le chef CARATTERO, Jean-Pierre VACOSSAINT, DETREZ, Edmond MARQUE, Joseph PAWLAK, Joseph ORIEUX, Jean-Pierre POIRE, AUDOU et à l’ECS de Bougie, Bernard VALADAS, Gérard UBELMANN, ASTRUC…Il y a une vingtaine d’années, j’eus le grand plaisir de prendre un verre avec l’Adjudant SICRE que je revoyais avec émotion. De passage à Troyes, j’avais trouvé son nom dans l’annuaire.
Pour conclure, je regrette tout de même le manque d’informations dont disposaient les « chasseurs » sur les missions, la situation politique du pays ; nous ignorions les enjeux, les luttes d’influences entre les factions militaires et politiques, les massacres de harkis, de leurs villages, les souffrances des pieds-noirs, les tueries d’Oran. A 20 ans, nous étions des jeunes sans expérience face à un conflit qui nous dépassait. Ce n’est que beaucoup plus tard, avec l’aide de toute la littérature publiée sur la guerre d’Algérie que les éléments du puzzle se mettent en place et que le sens de nos actions, trouve son explication.
Gardant toujours en mémoire la devise du 12e RCA « Audace n’est pas déraison » et n’hésitant pas à y faire référence en toute circonstance, la vie civile me sourira et m’apportera d’autres satisfactions. Sur le plan professionnel, en créant de nombreuses sociétés, et en obtenant le titre de « Meilleur Ouvrier de France ». Sur le plan politique, élu Conseiller général pendant plus de vingt ans et Député européen pendant dix ans. Des aventures qui m’ont conduit à découvrir une centaine de pays
S/Lieutenant Christian BURBAUD Classe 60 2/B Chef du 1er Peloton
Je suis arrivé au 12RCA en mai 1961 comme Aspirant en sortant de Saumur et après le stage d'Arzew
Mes affectations et fonctions :
-Dès mon arrivée à M'sila direction le 5° escadron, quelques jours avec le Cne Codet puis prise de commandement du poste de Tarmount .
-Mutation au 4° esc ( Lt Chaboureau ) pour diriger un cours de CA 2 ... quelques jours au Hammam pour préparer le cours puis direction Dar Kébira où se déroule la formation ( 2 mois je crois ) ; durant cette période l'adjudant (Sicre) qui commande le poste part en permission ainsi j'ai la responsabilité supplémentaire du poste et du peloton ... une opération impliquant plusieurs régiments voisins est réalisée à ce moment ...
Novembre -décembre je reviens au PC 4° Esc. après le CA 2 et le retour (sans doute? de l'adjudant) et prend le commandement du 1er Peloton AMM8 et passe Noel au Hammam.
1er janvier 1962 permission (10 jours ?) en France métropolitaine.
A mon retour de permission (vers le 15/1/62) toujours au 4° esc., je prends le commandement du poste de Tarmount et de son Peloton d'AMM8 jusqu'à fin avril.
Je rejoins alors le 503 ° RCC à Mourmelon.
Lieutenant René BALEYTE
Nous n'oublions pas que René BALEYTE, alors qu'il était au 12ème Cuirassiers, Commandé par le Colonel ROUVILLOIS, a été le premier à entrer dans Strasbourg avec le Sherman "Evreux" du Peloton Briot. Il était tireur, le Chef de Char était le MDL GELIS. Ce char en tantant de traverser le pont Vauban a encaissé 7 impacts de bazookas et 3 coups de 20mm !
contact : toudja.cultuelle@gmail.com Sujet : Amitiés avec Toudja
Contenu du message :
Je souhaite rentrer ne contact avec des personnes qui sont passées par Toudja à coté de Bougie algérie.
salutation et merci
https://www.facebook.com/toudja.cultuelle